Le rôle des peintures rupestres au Paléolithique supérieur

Il est encore difficile, de nos jours, de savoir quand l’art a réellement commencé. On lui a actuellement attribué la définition de « création d’objets ou de mises en scène spécifiques destinées à produire chez l’homme un état particulier de sensibilité, plus ou moins liées au plaisir esthétique[1] ». La majorité des archéologues et des historiens de l’art s’entendent pour dire que sa plus ancienne manifestation, jusqu’à présent, sont les peintures rupestres. Les premières sont attestées à l’Aurignacien, soit conjointement à l’arrivée des homos sapiens dans les diverses régions de l’Europe. Il s’agit, à ses débuts, presqu’exclusivement d’animaux. Les chercheurs ont longtemps cru que les sociétés représentaient les diverses espèces de leur environnement. Cela faisait en effet partie du quotidien des hommes préhistoriques que d’être intégrés aux espèces, puisqu’ils occupaient les mêmes territoires. Aujourd’hui, cette hypothèse est confrontée à d’autres théories. L’une d’entre-elle est détaillée par Emmanuel Guy dans son livre Ce que l’art préhistorique dit de nos origine (l’auteur ne traite toutefois que des peintures rupestres en Europe). Voici un résumé de son ouvrage.
Le principe de la disponibilité des ressources
L’anthropologue français Alain Testart (1982), a repris les travaux de plusieurs auteurs anglo-saxons afin de publier un livre synthèse sur les chasseurs-cueilleurs. La rédaction de son ouvrage lui a permis de comprendre que si certaines communautés de chasseurs-cueilleurs ont un mode d’organisation égalitaire dans certaines parties du monde, il arrive aussi des cas inverses dans d’autres régions[2]. Il parvient à distinguer deux grandes catégories : Les milieux pauvres où les hommes vivent de façon égalitaire et les milieux riches dont une minorité s’approprie les ressources et les exploite au détriment des autres dans le but d’en tirer un bénéfice personnel[3]. Dans les endroits où les ressources sont moins disponibles, les sociétés qui y habitent se déplacent au rythme de l’épuisement saisonnier des ressources. Elles s’approvisionnent et habitent les différents territoires selon leur abondance au cours de l’année. Elles pratiquent donc le nomadisme. C’est entre-autre le cas pour les Inuits de l’Arctique central actuels[4]. Pour ce qui est des groupes vivant dans des endroits plus riches, ils n’ont pas besoin de se déplacer autant puisqu’une grande quantité de ressources se trouvent à proximité. Ils vivent donc sur place pendant une grande partie de l’année. Dans les milieux où des changements saisonniers sont présents, le stockage est utilisé pour affronter la pénurie alimentaire causée par l’arrivée de l’hiver. La conservation du surplus de nourriture, produit lors de la saison estivale, amène la privatisation de celui-ci par certains membres de la société. C’est ainsi que saurait apparues les premières inégalités socio-économiques[5]. Les chasseurs-cueilleurs du Nord-Ouest canadien vivent sur la côte dans un milieu abondant en ressources. Les membres de cette communauté pêchent une grande quantité de poissons[6]. Ils conservent le surplus en séchant les aliments. C’est les familles hautement placées dans le rang social qui possèdent les meilleures terres. Des mythes ont été créés afin d’expliquer et de conserver leur pouvoir dans la région qu’elles contrôlent. Dans cet exemple, il n’est pas seulement question d’inégalités sexuelles, mais aussi d’inégalités sociales puisque cette société possède des esclaves, mais également un groupe d’élites[7]. L’art joue aussi un rôle important dans leur affirmation identitaire et politique. Des blasons familiaux sont confectionnés et sont installés à plusieurs endroits dans le but d’identifier leur rang social (à l’avant de la maison, sur les canoës etc.). L’art corporel, tel que les bijoux, la coiffure et la peinture, est aussi un moyen de montrer leur provenance familiale[8]. Dans ce cas-ci, l’art résulterait d’une volonté à s’identifier à une classe élevée de la communauté. Se pourrait-il qu’autrefois, les peintures rupestres détenaient le même rôle que les blasons de l’Ouest canadien? Pourtant, les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique occupaient des territoires très pauvres puisqu’ils vivaient durant la période glaciaire… À moins que ce ne fut pas le cas?
Le Paléolithique récent : une période si « hostile » que ça?
Il y a 110 000 ans, la Terre entrait dans la période glaciaire actuelle étant caractérisée par une période de refroidissement global. Ce n’est toutefois pas la première fois que ça arrive. Il s’agit d’un phénomène se produisant cycliquement depuis la naissance de la planète. À l’intérieur de ces périodes, des fluctuations se produisent. Il y a donc des alternances entre des climats plus froids et des climats plus chauds qui sont appelés phases glaciaires et interglaciaires. Si la température est aussi clémente aujourd’hui, malgré la période glaciaire dans laquelle nous vivons présentement, c’est parce que nous sommes dans une phase interglaciaire depuis 11 000 ans[9].

Les températures d’autrefois étaient certes moins élevées qu’aujourd’hui, mais était-ce vraiment si difficile d’y vivre? Malgré, le froid ambiant, il y avait peu de précipitations et l’ensoleillement était beaucoup plus important qu’actuellement. Cet environnement semble avoir fourni de très grandes richesses au centre de l’Europe[10]. Encore loin de la calotte glaciaire, la région était couverte d’une immense plaine partant de l’ouest du continent jusqu’en l’Eurasie. En raison du relief accidenté, le territoire devait également posséder des écosystèmes variés leur procurant une variété de ressources importantes[11]. Des études de biomasse, pratiqués sur certains animaux, ont permis de savoir qu’un très grand couvert végétatif était présent. Les ossements de plusieurs herbivores mises au jour un peu partout sur les sites préhistoriques appuient qu’une foule d’animaux terrestres occupaient ces lieux. La présence simultanée d’animaux adaptés au froid, principalement au sud-ouest de la France, et ceux des climats tempérés révèlent la richesse des ressources alimentaires disponibles à cette époque[12]. Mais, ces sociétés étaient-elles sédentaires pour autant?
Des preuves de sédentarité
Des études entreprises sur des sites archéologiques de plein-air, en Eurasie centrale et orientale, montrent que la région a fortement été peuplée durant la première moitié du Paléolithique supérieure, soit à partir de 45 000 AA.[13] Cette densité de population s’est peu à peu étendue vers la Moravie et la République Tchèque. Les ossements mis au jour sur ces sites révèlent que les animaux étaient uniquement chassés sur une courte période pendant l’année. Les hommes ne suivaient donc pas leurs déplacements, témoignant d’une occupation permanente ou quasi-permanente de ces communautés. Monsieur Guy suggère que des camps secondaires étaient installés et que les hommes les habitaient durant la saison estivale afin de profiter de l’abondance des ressources[14].
Dans la partie orientale de l’Europe, des habitats étaient construits à partir d’os de mammouths. Certains de ces abris étaient fabriqués avec une dizaine de ces individus et suivaient des normes architecturales précises[15]. Tout le dévouement nécessaire à la capture de plusieurs mammouths laisse penser que les habitations avaient pour but de durer[16].
Reconstitution d'un maison en ossements de mammouths, site de Mezhyrich, Ukraine, 15 000 AA.

NAUDARO, Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0, Publié le 22 septembre 2013.
Dans la vallée du Don, en Russie, la concentration de ces maisons est si importante que certains chercheurs qualifient ces agglomérations de « village » (Svoboda, 2004). Des fosses ont aussi été découvertes à proximité de certaines de ces habitations[17]. Également, dans la plupart des sites archéologiques dits « temporaires », les foyers utilisés ont été superposés puisqu’ils ont servis à des moments différents. Or, les foyers découverts dans le Don sont alignés. Les archéologues croient donc qu’ils ont tous servi en même temps[18]. Cette constatation est ajoutée à l’épaisseur des couches d’habitation, à l’abondance des vestiges mis au jour et à la diversité des activités témoignée (boucherie, statuette en argile, confection de paniers, de filets et de vêtements etc.)[19].
Le rôle des peintures
Selon monsieur Guy, le début de l’art pariétal a été causé par le désir ostentatoire propre aux stratégies de prestige développées par l’élite dans les sociétés inégalitaires[20]. Les images et les rites, qu’on ne peut pas percevoir archéologiquement, auraient joué un rôle central dans l’instauration et le maintien de la hiérarchie mise en place. Ils permettaient aux familles dominantes de conserver le contrôle du territoire puisqu’on leur attribuait une descendance mythique leur permettant de légitimer leur souveraineté dans la région. Comme le dit si bien l’auteur, l’art aurait donc été « un outil de mémorisation et de transmission du pouvoir pour les enjeux économico-politiques[21] ». Chaque espèce peinturée possédait des caractéristiques qui leur étaient propres, comme le profil exagéré droit et angulaire de la tête d’aurochs ou en encore la symétrie des lignes du cou se rejoignant en goulot de bouteille[22]. Ces attributs sont représentés chez tous les animaux d’une même espèce et ils sont présents sur un grand espace géographique.
Tête d'auroch et cou en col de"goulot de bouteille"


GUY Emmanuel, "Ce que l'art préhistorique dit de nos origines", Figure 8.
Au cours du Magdalénien, soit vers 17 000 AA., l’art rupestre géométrique hautement standardisé à travers l’Europe, s’est transformé pour faire place à des portraits plus naturalistes. Durant la même période, les sites côtiers se multiplient ainsi que la variété des objets retrouvés. On y voit notamment l’augmentation des harpons et d’autres outils servant à la pêche. De nombreux indices laissent penser à une croissance démographique importante partiellement causée par des conditions générales de vie plus faciles. Si les symboles figuratifs représentaient bel et bien des blasons familiaux, comme croit monsieur Guy, ces derniers circulaient probablement moins tout comme les échanges bilatéraux entre les clans[23]. Un nombre plus importants d’habitants dans une seule et même région permettaient d’entretenir des contacts sur une aire géographique plus petite qu’auparavant causant une multiplication des symboles et un transfert de ceux-ci sur de plus courtes distances. Ceci expliquerait en effet pourquoi, au cours du Paléolithique supérieure, une même tradition artistique était partagée dans tout le sud-ouest de l’Europe occidentale, alors qu’au cours du Magdalénien, la répartition géographique des thèmes identifiés semblent désormais se limiter à une région[24]. Puis, entre 13 000 et 12 000 AA., les hommes cessent de produire des peintures rupestres. Le réchauffement postglaciaire, faisant disparaître les ressources privatisées et les territoires ancestraux, a du même coup causé la perte de l’art qui les représentait[25].
Selon Emmanuel Guy, l’émergence des sociétés stratifiées résultent d’une abondance alimentaire dans les régions occupées et d’une volonté de les privatiser à des fins individuelles[26]. L’art rupestre, symbolisant la famille dirigeante, permettait à l’élite d’asseoir leur contrôle sur les territoires les plus riches. Pour affirmer leur légitimité, il possédait peut-être des mythes ancestraux, ce qui expliquerait une si longue pérennité des peintures. Au paléolithique supérieur, les espèces représentées possédaient des caractéristiques géométriques semblables et se trouvaient sur de vastes espaces géographiques. Puis, vers 17 000 AA., une volonté de naturaliser les animaux prend place[27]. Les milieux, devenant plus riches et plus nombreux, et une croissance démographique de la population amènent les sociétés à entretenir des relations de proximité. Ceci entraîne la naissance du « régionalisme artistique[28] ». Vers 13 000 AA., les écosystèmes ne sont plus ce qu’ils étaient auparavant en raison des changements climatiques. Les régions, autrefois florissantes, deviennent des paysages inconnus pour ceux qui y habitaient. Les modifications environnementales ne permettent plus aux groupes de pratiquer l’économie d’autrefois. Le contrôle de ces territoires n’a plus lieu d’être. L’art rupestre non plus d’ailleurs. 25 000 ans de tradition venaient de s’achever … laissant peu à peu la place au Néolithique[29]!
Médiagraphie
[1] Définition d’Art, Larousse, consulté le 9 janvier 2019.
[2] GUY Emmanuel, Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, p.39.
[3] Idem.
[4] Ibid., p.40.
[5] Idem.
[6] GUY Emmanuel, Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, p.51.
[7] Idem.
[8] Ibid., p.56.
[9] Idem., p.65.
[10] Ibid., p.66.
[11] Ibid., p.67.
[12] Ibid., p.69.
[13] GUY Emmanuel, Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, p. 70.
[14] Ibid., p.71.
[15] Ibid., p.72.
[16] « The Last Glacial Period », Incredible History, The Curious Minds Series, Octobre 2017, p.148 et 149.
[17] Idem.
[18] Idem.
[19] Ibid., p.74.
[20] Ibid., p.249.
[21] Ibid., p.250.
[22]Ibid., p.178.
[23] GUY Emmanuel, Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, p. 214.
[24] Ibid., p.212.
[25] Ibid., p.250.
[26] Ibid., p.249.
[27] Ibid., p. 207
[28] Ibid., p.213.
[28] GUY Emmanuel, Ce que l’art préhistorique dit de nos origines, p.250.